Ce samedi 2 novembre dernier, nous étions « invités » à assister à une démonstration de la Mekanik de Magma. Derrière ce titre, un concept nouveau : la répétition publique, en journée, sur un large créneau horaire de 14h à 20 h. Ce triptyque, à cheval sur novembre et décembre, précède le concert prévu en décembre à Antibes. Si un doute a pu planer un moment sur le maintien de ces dates, elles ont été confirmées en septembre, Christian nous gratifiant même d’une vidéo rassurante quant à son état de santé et son projet de remontrer sur scène. Il s’agit donc, pour ces 3 après-midi, de se glisser en quelque sorte dans les coulisses et d’assister au travail des musiciens, dans la mise en place d’un nouveau répertoire.
Lorsque nous arrivons, un peu sur le fil, la salle est quasi pleine. La date n’a pas été annoncée sold out, contrairement à celle du 14 décembre, mais il s’en faut de peu. On reconnaît dans le public quelques habitués, on essaie de trouver une place tant bien que mal. Les instruments sont installés sur la scène, claviers et piano face à face, forêt de micros et au milieu la batterie en majesté. Vers 14h tous rentrent, se placent, et c’est Stella qui inaugure. Une mélodie fredonnée en s’excusant d’une petite fatigue vocale liée à ces trois jours de travail intensif, posée sur le piano de Simon. Puis elle présente en quelques mots la démarche, de l’envie de partager la musique de manière différente, de convier le public à passer quelques heures avec les musiciens, sans programme prédéfini, et « comme si nous n’étions pas là ».
Un point aussi sur sa santé et celle de Christian, se voulant rassurante pour l’un comme pour l’autre. Beaucoup de dignité et quelque chose d’assez touchant dans la partie de l’annonce qui la concerne, dans une volonté de transparence et d’honnêteté vis à vis du public, mais aussi pour couper court à d’éventuelles rumeurs à venir. Stella va expliquer également que Christian ne jouera pas ce soir, par prudence, mais qu’il dirigera depuis un siège au 1er rang. La surprise, sinon une certaine déception, a été passagèrement perceptible dans la salle. En effet, si nous avions déjà eu l’occasion d’entendre la musique de Magma sans batterie, lors de la partie acoustique du concert de Pleyel ou du (sublime) wokaahl de 2023, entendre la musique de Christian sans que celui-ci n’y participe, fut-ce du piano ou de la voix, pouvait laisser une drôle d’impression. Sans compter que certains viennent surtout pour lui, et s’attendent en achetant la place de spectacle, à le voir jouer. Néanmoins, difficile de reprocher cette mesure de précaution vu le contexte particulier.
Christian propose de travailler K.A L’harmonisation à 7 voix, réalisée par Hervé, donne une palette sonore sensiblement différente de celle que l’on pouvait connaître de l’album enregistré au début des années 2000. Elle permet de faire une place aux voix graves, notamment celle de Sylvie au début de K.A II, et c’est bien agréable. Autre innovation, on entend Thierry chanter le chorus de Om Zanka en même temps qu’il joue. Il semblerait d’ailleurs qu’il soit de plus en plus impliqué vocalement depuis les concerts acoustiques, ce qui est une bonne idée pour renforcer les vox masculines face à un pupitre féminin toujours très présent. De façon générale, cette version sans batterie donne à entendre autre chose de cette musique, et permet d’apprécier les mélodies et harmonies subtiles qui se jouent. On sent encore l’influence de MDK dans la composition, dans les jeux de répétitions et de tourneries. Autre chose viendra avec Köhntarkösz.
A la différence d’un concert, pas moyen cette fois de se laisser emporter complètement par la musique, les interruptions et recommencements étant nombreux. Mais c’est le jeu ! Cela dit, même si le public n’a pas manifesté d’impatience ou de mécontentement, j’imagine que certains ont dû décrocher à un moment ou à un autre des multiples itérations. Malgré tout, on peut saluer un son d’ensemble très équilibré et fluide, sans saturations, sans prépondérance d’une masse sonore au détriment d’un autre, ce qui permet d’entendre tout le monde et de laisser de la place à chacun. Ainsi on a pu profiter pleinement du son de la guitare de Rudy, qui selon les concerts pouvait se trouver injustement atténué.
Pour ma part, j’ai beaucoup apprécié cette opportunité de voir la musique « en train de se faire », de rentrer voir de plus près les rouages de cette « mekanik ». L’occasion de constater aussi à quel point chaque membre du groupe est à l’écoute de l’autre, dans une forme de rigueur attentive, Stella insistant beaucoup sur l’aspect interprétation, nuances et intention, Simon ou Caroline s’exprimant plutôt sur la partie plus technique des partitions pour cette fois. Christian interviendra également pour donner des indications, notamment pour recaler le tempo en marquant le rythme au moyen des baguettes, comme un métronome, preuve que même s’il n’est pas sur scène il veille au grain. Il dira d’ailleurs en conclusion qu’il s’agit d’un travail « au scalpel » tant le souci du détail est important. Sur sa discrète suggestion aussi, on pourra entendre au retour d’un des entractes un chant bulgare interprété par Stella, Sylvie, Caroline et Laura, emprunté au répertoire des Voix de Gaia. Autre ambiance mais une opportunité de découvrir cette proposition musicale, portée par une partie des chanteuses de Magma.
Ce qui était assez notable aussi c’était le climat global de joyeuse décontraction qui régnait sur la scène : plaisanteries qui fusent entre les uns et les autres, sourires, Christian qui fait montre de son humour à plumiers reprises. Ainsi quand il corrige Hervé sur un phrasé en lui conseillant de prononcer « « Hametaille » avec l’accent du sud », pour bien peser sur les syllabes, ce qui a pas mal amusé le public. Ou quand Isabelle, s’adressant à la salle, demande aux femmes présentes de lever la main, Stella saluant le fait que nous soyons un peu plus nombreuses à présent tout en rappelant que longtemps, le public de Magma (sans parler de son effectif sur scène) était essentiellement masculin -sujet également propice à quelques galéjades.
Parallèlement à la répétition, dans la salle 2 du Triton était projeté en boucle Tristan et Iseult, le fameux film de Yvan Lagrange. Œuvre kitch par excellence, avec ses combats de chevalier légèrement laborieux, mais habillée d’une version brute de Wurdah Itah dont l’énergie contraste avec la lenteur des images. Christian raconte l’histoire du piano cassé, de l’enregistrement de ce morceau et de comment il s’est retrouvé en BO de ce film improbable (produit, c’est original, par le couturier Pierre Cardin ! ), l’anecdote des armures et les épées réelles : les comédiens, sans entraînement, avaient eu toutes les peines du monde à se mouvoir affublés de cet attirail, d’où le coté ralenti et involontairement comique du film. Un coté Monthy Python, comme le souligne Thierry Eliez, mais quelle musique ! Cette version sauvage de Wurdah Itah, est, il faut le dire, magnifique.
Autours des 18h, la séance va vers sa conclusion et le groupe propose un filage de tout K.A pour finir en beauté. Après cela, Christian monte sur scène pour féliciter l’équipe et Stella interroge le public, l’invitant à poser des questions ou à livrer des commentaires ou des remarques par rapport à ce qui vient de se passer. C’est encore une fois un moment propice aux échange informels et détendus entre les musiciens et le public. Idéalement, on n’aurait pas refusé un bis avec Christian, une petite balade ou un Denhde, pour le plaisir de l’entendre…mais nous n’avons pas eu cette chance. A propos de chance, le plus vernis de cette fin d’après-midi musicale aura sans doute été ce jeune gamin, présent au premier rang et fièrement vêtu du T-shirt Magma, qui a bénéficié d’une leçon particulière dispensée par le maître en personne sur sa propre batterie. C’était très touchant là aussi de voir Christian prendre de son temps pour lui expliquer comment tenir les baguettes, obtenir tel ou tel effet, avec beaucoup de patience et de simplicité.
Finalement, la répétition n’aura pas duré jusqu’aux 20h annoncés, mais nous aurons quand même pu partager 4 bonnes heures avec le groupe, dans cette forme particulière mais, d’une certaine façon, privilégiée. Deux autres opus vont suivre, avant Antibes et la tournée de 2025, dont nous attendons avec impatience l’annonce des dates et des lieux !
Texte et photos : Eurydice Anahé (sauf les cinq derniers clichés : Memorizatör).
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