En fin d'année dernière, paraissait une imposante série de six disques inédits de Philippe Cauvin. Une forme de record pour quelqu'un qui n'avait publié que trois disques à ce jour ! Couvrant une période allant de 1978 à 2015, ces six volumes récapitulent les différentes "voies" prises par le compositeur, d'abord en parallèle de son travail dans Uppsala (de 1977 à 1986) puis en solo, duo ou en groupe sous diverses formules malheureusement restées, le plus souvent, confinées dans la région Aquitaine.
Il s'agit, pour cinq disques, de témoignages, enregistrés avec les moyens du moment, parfois limités, mais ayant été restaurés au maximum des possibilités techniques. Avec le recul, c'est évidemment rageant qu'aucun de ces projets n'ai pu aboutir sous une forme plus définitive mais cela ne retire rien à l'intérêt d'une telle masse d'archives !
Voici donc quelques pistes pour partir à la découverte d'un univers musical personnel et unique et, afin de vous en faciliter la visite, nous ne respecterons pas tout à fait l'ordre voulu par le musicien...
CD 4 Frôlements
Ce volume est celui qui couvre la plus large période, puisqu'allant de 1978 à 1994 avec des sources de natures différentes : concerts intimes ou en grande salle, studio, maquettes, musiques de film... Complément parfait des Climage et Memento parus dans les années 80, Frôlements multiplie les clefs d'entrée dans l'univers musical du girondin : pièces pour guitare ou plus orchestrales, chant imaginaire ou texte en français, fragilité de la voix solo ou choeurs oniriques, "chansons" ou pièces plus "défricheuses"... tout en permettant de mesurer l'évolution musicale du musicien, ici souvent en compagnie de Serge Korjaveski aux claviers. Diversifié dans son expression, ainsi que que dans son inspiration, Frôlements est construit tel un jeu de pistes, confrontant époques, instrumentations, pièces inédites et versions "alternatives" de classiques du compositeur (Vertiges, Coste et Jukka, Automne). On aurait pu craindre une certaine incohérence, un aspect "catalogue" or rien de tel ici. C'est passionnant de bout en bout et il aurait vraiment été dommage que de tels documents disparaissent avec le temps. Evidemment indispensable pour ceux qui ont aimé Climage et Memento.
CD 2 Philippe Cauvin Groupe
De 1986 à 1988, suite à la dissolution d'Uppsala après une ultime tentative de virage "rock", le guitariste s'est produit au sein de ce quartet atypique : guitare classique, guitare synthé, claviers et batterie. Ne s'étant exposé qu'en Aquitaine, cette formule sera pour beaucoup une découverte même si une chronique dans feu Intra-Musiques avait pu aiguiser l'intérêt des afficionados. 30 ans après, la découverte est de taille sur le plan musical avec les rares traces d'une formation qui proposait une musique ambitieuse et aérienne. Le lien avec Uppsala ne me semble pas si évident tant ce projet est entièrement au service de la vision musicale de Philippe Cauvin. Les titres issus des albums précédents sont transfigurés avec de magnifiques orchestrations lumineuses dans lesquelles chaque musicien occupe une place déterminante. La fluidité du quartet est assez phénoménale et permet à l'univers du guitariste de s'exprimer pleinement, d'une manière lyrique et tourbillonnante franchement emballante. Le groupe ayant peu enregistré (il ne s'agit que de bandes de travail à la qualité pas toujours optimale), Philippe Cauvin a inclus quelques pièces réalisées en solitaire (Guitares, Chant, Percussions, Claviers) prévues à l'origine pour le cinéma. Enregistrées en 1986, et relevant de la même inspiration, elles s'intégrent très naturellement au sein des pièces jouées en groupe. Voilà de quoi avoir bien des regrets trente ans après car le Philippe Cauvin Groupe est hélas arrivé au pire moment et s'est confronté au dédain des années 80. Mon CD préféré de la série, indispensable pour les "fans" du guitariste mais que ceux qui ont les oreilles "ouvertes" ne se privent pas de découvrir cet univers si prenant.
CD 3 Des Mots sur des Notes
La fin des années 80 est terrible pour les artistes "hors-normes". L'industrie du disque s'est concentré économiquement, les disquaires disparaissent et la normalisation est partout. Les circuits alternatifs de concerts issus des années 70 se sont volatilisés en quelques années. Sur la proposition de Bernard Dauman (producteur cinématographique), le guitariste s'attelle, durant deux années, à l'écriture de cinquante "chansons d'Art" (treize ont été retenues ici) sans doute dans l'espoir de sortir de l'ornière du temps et de rendre sa musique plus accessible. Le projet ne s'est, évidemment, jamais concrétisé et ce sont des maquettes sont sont présentées ici. Alors parlons des choses qui fâchent : le minutage (4mn en moyenne), le son de l'époque et ses boites à rythmes envahissantes, le formatage de l'ensemble... La première écoute s'avère être assez déconcertante. C'est en y revenant plusieurs fois qu'on s'extrait peu à peu de la première impression pour rentrer dans ces ces treizes "chansons" atypiques. Côté textes, Maité Dallet s'est, en fait, basée sur les onomatopées originales pour construire des paroles empreintes de l'univers du musicien et force est de reconnaître que cela fonctionne ! Côté chant, Cauvin se positionne ici clairement comme un "chanteur", d'une voix affirmée assez peu habituelle chez lui. Mais chassez le naturel... car outre le chant solo "normal", de nombreuses pistes vocales "'secondaires" jalonnent ces chansons comme autant d'indices sur son auteur, qui laisse ainsi sa signature de compositeur. Au fil des écoutes, on se prend à se laisser aller à un véritable jeu de pistes : solis rageur à la Uppsala, tourneries de guitare caractéristiques, choeurs lyriques et décalés... Chaque chanson récèle de véritables trouvailles à l'exception de "J'ouvre des bras" qui apparait, en comparaison des autres pièces, bien pauvre. On en regrette finalement que ce projet n'ai pu être achevé avec une véritable production car le résultat aurait été sans nul doute assez surprenant. Un CD qui demande du temps pour en saisir les subtilités, et le sens, mais qui prend sa place, certes "différentes", aux côtés des autres volumes de cette série.
CD5 Philippe Cauvin Except
Ce cinquième volume est consacré au "retour" du guitariste dans les années 2000 avec un trio à la composition rare : guitare & chant, batterie, vibraphone, marimba, flute. Capté "live" en Mars 2008 à Bordeaux, Except permet de suivre le cheminement musical du compositeur : retour à l'acoustique et un glissement progressif vers un jazz contemporain de belle facture. Le groupe privilégie les mouvements d'ensemble aux velléités solistes et propose une musiques de "couleurs" où il est parfois difficile de distinguer compositions et improvisations. Le jeu de Pascale Martinez est pour beaucoup dans la signature sonore du Trio, véritable ossature de la musique proposée ici. C'est donc à une nouvelle mutation de l'univers musical du guitariste à laquelle on assiste, dans l'univers intimiste d'un club. Une mention particulière pour Lulu Bret, le batteur, qui joue avec finesse et musicalité dans un contexte qui demande une grande écoute et un dosage certain... Dommage que la prise de son, au demeurant très correcte, soit un peu distante. Il faut ainsi, parfois, s'y reprendre à plusieurs fois pour capter certaines nuances un peu trop noyées dans une reverb trop présente. A l'exception d'une pièce, le répertoire est constitué de titres inédits qui illustrent l'évolution stylistique du compositeur dont on retrouve bien entendu la "patte" et, plus encore, quand le chant apparaît, sous diverses formes. C'est pourtant par un titre "bonus" (enregistré en studio en 2015), que s'ouvre l'album, à l'origine une composition pour guitare interprétée ici par Pascale Martinez seule avec ses marimbas et vibraphone. Claire Obscure est une pièce assez obsédante, très climatique qui ouvre des perspectives assez différentes dans la musique de Philippe Cauvin.
CD1 Nu
Premier volume de cette série, Nu est le "suite" naturelle de Voie Nacrée, l'album du retour de Philippe Cauvin paru en 2014. Enregistré à l'occasion du concert donné au Rocher de Palmer le 22 Octobre 2014 (voir ICI le compte-rendu de cette soirée afin de ne pas me répéter trop...), le disque reprend une grosse partie du concert avec deux "bonus" enregistrés à l'occasion de la résidence du guitariste à Cenon. Le recul qu'induit le rapport à une musique gravée, et donc définitive, modifie forcément la perception de l'auditeur par rapport au moment du concert. Je ressens ici plus de fluidité que sur place, moins de cassures même si le propos est toujours extrème dans cette recherche de liberté pleine et entière. Nu est, en cela, le résultat d'un étonnant parcours que ces cinq disques éclairent d'un jour nouveau : s'affranchir de toute contingence stylistique pour créer une musique de l'Instant, entre musique et sons...
CD6 Jordan Cauvin Guitarvision
Dernier volume de cette série, Guitarvision est un peu à part puisque Philippe Cauvin n'y apparait qu'en tant que compositeur, son fils cadet, Jordan, officiant, de belle manières, aux diverses six cordes. La musique est purement instrumentale ce qui, l'air de rien, modifie sacrément la donne. En effet, la signature sonore de l'univers "cauvinal", quelques soient les époques, a toujours reposé en partie sur le travail vocal et sa spécificité ô combien reconnaissable. La musique s'est trouve donc forcément quelque peu "normalisée" par rapport à l'originale. Ce qui induit un changement de perspectives dans l'approche de ce qui est proposé tant il serait vain d'y chercher ce qui n'y est pas. On se concentrera donc sur le subtil travail d'arrangement des différentes pièces proposées ce qui permet d'ouvrir sur d'autres paysages sonores. Jordan Cauvin développe une belle fluidité dans un jeu parfois un peu "jazzifiant", notamment à l'électrique. Les versions sont d'une belle lisibilité en mettant en valeur les diverses mélodies, parfois sous-jacentes dans les versions originelles. S'appropriant avec goût l'oeuvre paternelle, Jordan Cauvin fait preuve d'une belle musicalité et d'une maturité assez étonnante pour un premier disque. à la fois respectueux du leg paternel tout en y ouvrant de nouvelles voies.
On l'aura compris cette série est particulièrement dense, d'où le temps nécessaire pour en appréhender chaque volume et ses richesses (NDR : et d'en faire la chronique ! ). Le parcours de Philippe Cauvin est unique et exigeant, surprenant toujours et, le fait qu'il ait choisi sa musique "actuelle" comme premier volume montre bien que ce qui pourrait être interprété comme une forme d'héritage, est tourné vers le futur d'un cheminement en devenir... On a hate de découvrir la suite !
Merci pour ce regard différent et qui donne envie de se plonger dans cet univers musical !
RépondreSupprimerBonne découverte alors...
SupprimerBonjour ,
RépondreSupprimeril (re)passera ici le Vendredi 13 janvier de 18h30 à 20h. Médiathèque Castagnéra à Talence 33400
Entrée libre.Tout public.
Pour ceux qui seront dans le coin...
Muzikal(m)ement
Dersü
Quel riche travail. Mémorizator pourrait écrire un livre !
RépondreSupprimerS'il livre il y aura ce sera à Thierry Payssan d'en être l'auteur ! J'ai scandaleusement oublié de saluer son travail de biographe scrupuleux et musical dans les notes de pochette...
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