mardi 26 novembre 2024

Une Xzonn à défendre

Les nouvelles de Bernard Paganotti se sont espacées avec les années : quelques apparitions avec Himiko, sa fille et parfois avec son vieux complice Patrick Gauthier... L'annonce d'un album "co-leadé" avec Bertrand Lajudie avait de quoi retenir toute notre attention. Et cela a même attracté une nouvelle plume au sein de KSZ à laquelle nous souhaitons la bienvenue ! 


En apprenant la sortie du disque de XZONN, on ne pouvait qu’éprouver une profonde curiosité : quelle musique allait donc proposer la bande Paganotti/ Lajudie, après l’épopée Paga ? Allait-elle s’engager dans les territoires désormais bien balisés de la Zeuhl, ou s’aventurer dans une autre direction musicale ?

Une partie de la réponse est donnée dans le nom du groupe, aussi bien que le titre du disque, qui nous invitent à regarder ailleurs. Ni Paga groupe, ni résurrection de Weidorje, c’est une musique différente, tout aussi intense, vivante et subtile, dont chaque détour surprend et séduit. Certes, cette musique se dégage du lyrisme magmaïen, où une voix porte la musique (et nous emporte), car ici tout chante, les claviers comme la basse, tandis que la voix, discrète, endosse parfois un rôle harmonique. Les morceaux, au nombre de six, sont comme autant de petites suites, composées en séquences d’une grande richesse. D’autre part, que le titre, Ondes, renvoie à la dimension vibratoire de cette musique, constitue une parenté évidente avec l’univers magmaïen. Mais ce mot désigne aussi bien, de manière poétique, l’eau, ce qu’illustre thématiquement la photo de la pochette et ce à quoi renvoie cette musique, empreinte de poésie et de mystère.

Le disque s’ouvre avec « IC1101 », du nom de l’une des plus grandes galaxies de l’univers. Construit initialement autour d’une boucle funky et faussement facile, il offre un dialogue tout en tension entre des claviers à l’ampleur quasi symphonique et une basse tellurique et inquiétante, jusqu’à l’intervention de la clarinette de Stéphane Chausse, tour à tour lyrique et plaintive.

Le deuxième morceau présente un début apaisé et tendre, sur un tempo moyen, sur lequel se greffent des lignes de basse répétitives construisant une boucle envoûtante. Son titre, « Processionnaire », est bien choisi :  c’est l’image d’une marche qui surgit à l’écoute de cette pièce, dont la lente montée chromatique accompagnée d’une batterie de plus en plus présente contient des réminiscences de Weidorje. Toutefois, comme les autres morceaux de ce beau disque, il donne lieu à un développement inattendu et se conclut par une séquence balançant entre lyrisme et apaisement, où le chant d’A. Paganotti, que l’on n’a pas entendu depuis longtemps dans cet emploi, fait merveille.

Le troisième morceau, « Obsess », s’ouvre avec un rythme funky qui dessine une boucle rythmique sur laquelle se superposent les sonorités froides et dissonantes des claviers, évoquant le paysage hivernal de la pochette. C’est un morceau où les mélodies foisonnent,  dans lequel tous les instruments endossent un rôle mélodique, d’abord les claviers, puis la basse, tandis que la batterie impose un cadre rythmique implacable qui donne toute sa dynamique interne à cette composition. On n’est pas très loin du  King Crimson période années 80, avec ses rythmiques diaboliques et ses climats lunaires, ni de certaines tourneries du Miles électrique période Pangea.

Le morceau suivant, titré « Ikari » (serait-ce le nom d’un héros d’animé japonais ?) est une composition plus onirique, apaisée et mélodique, reposant sur un dialogue entre la basse et les claviers, jusqu’à ce que la clarinette et la flûte de S. Chausse lui donnent un tour plus lyrique.

Avant le dernier morceau, l’un des plus réussis de l’album, vient le tour de « Karl », boucle rythmique prenant la forme d’un riff de deux notes, où l’on retrouve à nouveau le chant d’Antoine Paganotti, et dans lequel les lignes de clavier, avec leurs sons déchirés et saturés, tiennent un rôle à la fois rythmique et mélodique.

Puis vient le dernier morceau, « Fast », pièce de choix de l’album. C’est, dans une première séquence, un funk détraqué, avec sa basse magmaïenne, où la mélodie est constamment sur une ligne de crête, sous la menace des sons distordus de la guitare et des claviers. C’est ensuite le chant sans paroles d’Antoine Paganotti, qui délivre une mélodie qui ne va jamais là où on l’attend. C’est enfin une sorte de polyphonie instrumentale (on me pardonnera cette expression bizarre) où tout chante à nouveau : guitare, claviers, basse, conclue par un solo de clavier électrique sur une rythmique pleine de tension, avant qu’une nouvelle accélération ne précipite une fin brutale.

Voilà par conséquent un excellent disque, dont la musique est audacieuse, originale et pleine de feu. Il est à souhaiter que les amateurs de Magma, et plus largement de musique, auront la curiosité de le découvrir et donneront l’envie à ses auteurs de prolonger leur aventure musicale. 

S.G.


samedi 23 novembre 2024

Un Caillou de passage au Triton

Nous vous avions annoncé, il y a quelques mois, la réactivation du groupe emmené par Philippe Gleizes et Rudy Blas. Ils sont donc désormais rejoints par Jimmy Top, bassiste de plus en plus demandé (voir par ailleurs Gorgone) et par Antonin Rayon aux claviers, entendu avec le batteur il y a quelques paires d'années au sein de Gleikrew
Le groupe n'en était qu'à son troisième concert avec cette nouvelle formule mais on a pu retrouver cette énergie caractéristique, ce jazz-rock de haute volée qui laisse la porte ouverte à des moments plus climatiques et progressifs. Il y a de beaux mouvements d'ensemble et les quatre musiciens ont un évident plaisir à partager la scène. Les deux leaders sortent leur épingle du jeu et les années passées dans Magma ont permis à Rudy de passer bien des caps. La complicité avec Philippe Gleizes fait plaisir à voir et soude la formation de manière évidente. Ce dernier est toujours aussi passionnant à voir. Le temps a certes fait son oeuvre de mûrissement mais il ne s'est pas calmé pour autant et c'est tant mieux !  Antonin Rayon est assez présent dans le son du groupe en utilisant, parfois, un Clavinet, clavier plutôt rare en cette époque, Jimmy Top assurant les fondations de l'ensemble avec efficacité et talent mais on aimerait le voir et, surtout l'entendre, plus devant par moment...


Caillou joue, pour majeure partie, le répertoire de son unique album, paru en 2013. C'est logique et, en même temps, un peu frustrant. Nous sommes dix ans après, avec deux musiciens différents et nous aimerions sentir
davantage l'empreinte de la formation actuelle. Alors, bien sûr, ce n'était que le troisième concert et tout le problème est sans doute là ! Il devient extrèmement difficile de tourner avec ce genre de propositions musicales et donc de forger une musique vivante au travers de la scène. Depuis le Covid, la donne a changé, les temps se sont durcis et je crains le pire pour les mois à venir...
Caillou a un superbe potentiel mais qui risque de rester, pour une part, en germe, faute de concerts. Comment roder de nouveaux morceaux sans les jouer ? Il est question d'un deuxième disque dans le courant de l'année et d'ailleurs deux nouvelles pièces ont été jouées durant la soirée. Une coproduction semble à l'ordre du jour, croisons les doigts... Dans vingt ans, je parie que ce deuxième disque sera collector ! D'ailleurs comme le premier est en train de le devenir.
Alors si le groupe passe à votre portée, il convient de ne pas le rater ! Vos oreilles affûtées vous remercieront d'une telle découverte ou redécouverte...









samedi 16 novembre 2024

Un mode immersif pour le public de Magma

Ce samedi 2 novembre dernier, nous étions « invités » à assister à une démonstration de la Mekanik de Magma. Derrière ce titre, un concept nouveau : la répétition publique, en journée, sur un large créneau horaire de 14h à 20 h. Ce triptyque, à cheval sur novembre et décembre, précède le concert prévu en décembre à Antibes. Si un doute a pu planer un moment sur le maintien de ces dates, elles ont été confirmées en septembre, Christian nous gratifiant même d’une vidéo rassurante quant à son état de santé et son projet de remontrer sur scène. Il s’agit donc, pour ces 3 après-midi, de se glisser en quelque sorte dans les coulisses et d’assister au travail des musiciens, dans la mise en place d’un nouveau répertoire. 


Lorsque nous arrivons, un peu sur le fil, la salle est quasi pleine. La date n’a pas été annoncée
s
old out, contrairement à celle du 14 décembre, mais il s’en faut de peu. On reconnaît dans le public quelques habitués, on essaie de trouver une place tant bien que mal. Les instruments sont installés sur la scène, claviers et piano face à face, forêt de micros et au milieu la batterie en majesté. Vers 14h tous rentrent, se placent, et c’est Stella qui inaugure. Une mélodie fredonnée en s’excusant d’une petite fatigue vocale liée à ces trois jours de travail intensif, posée sur le piano de Simon. Puis elle présente en quelques mots la démarche, de l’envie de partager la musique de manière différente, de convier le public à passer quelques heures avec les musiciens, sans programme prédéfini, et « comme si nous n’étions pas là ». 


Un point aussi sur sa santé et celle de Christian, se voulant rassurante pour l’un comme pour l’autre. Beaucoup de dignité et quelque chose d’assez touchant dans la partie de l’annonce qui la concerne, dans une volonté de transparence et d’honnêteté vis à vis du public, mais aussi pour couper court à d’éventuelles rumeurs à venir. Stella va expliquer également que Christian ne jouera pas ce soir, par prudence, mais qu’il dirigera depuis un siège au 1er rang.  La surprise, sinon une certaine déception, a été passagèrement perceptible dans la salle.  En effet, si nous avions déjà eu l’occasion d’entendre la musique de Magma sans batterie, lors de la partie acoustique du concert de Pleyel ou du (sublime) wokaahl de 2023, entendre la musique de Christian sans que celui-ci n’y participe, fut-ce du piano ou de la voix, pouvait laisser une drôle d’impression. Sans compter que certains viennent surtout pour lui, et s’attendent en achetant la place de spectacle, à le voir jouer. Néanmoins, difficile de reprocher cette mesure de précaution vu le contexte particulier. 


Christian propose de travailler K.A L’harmonisation à 7 voix, réalisée par Hervé, donne une palette sonore sensiblement différente de celle que l’on pouvait connaître de l’album enregistré au début des années 2000. Elle permet de faire une place aux voix graves, notamment celle de Sylvie au début de K.A II, et c’est bien agréable. Autre innovation, on entend Thierry chanter le chorus de Om Zanka en même temps qu’il joue. Il semblerait d’ailleurs qu’il soit de plus en plus impliqué vocalement depuis les concerts acoustiques, ce qui est une bonne idée pour renforcer les vox masculines face à un pupitre féminin toujours très présent. De façon générale, cette version sans batterie donne à entendre autre chose de cette musique, et permet d’apprécier les mélodies et harmonies subtiles qui se jouent. On sent encore l’influence de MDK dans la composition, dans les jeux de répétitions et de tourneries. Autre chose viendra avec Köhntarkösz. 


A la différence d’un concert, pas moyen cette fois de se laisser emporter complètement par la musique, les interruptions et recommencements étant nombreux. Mais c’est le jeu ! Cela dit, même si le public n’a pas manifesté d’impatience ou de mécontentement, j’imagine que certains ont décrocher à un moment ou à un autre des multiples itérations. Malgré tout, on peut saluer un son d’ensemble très équilibré et fluide, sans saturations, sans prépondérance d’une masse sonore au détriment d’un autre, ce qui permet d’entendre tout le monde et de laisser de la place à chacun. Ainsi on a pu profiter pleinement du son de la guitare de Rudy, qui selon les concerts pouvait se trouver injustement atténué 


Pour ma part, j’ai beaucoup apprécié cette opportunité de voir la musique « en train de se faire », de rentrer voir de plus près les rouages de cette « mekanik ». L’occasion de constater aussi à quel point chaque membre du groupe est à l’écoute de l’autre, dans une forme de rigueur attentive, Stella insistant beaucoup sur l’aspect interprétation, nuances et intention, Simon ou Caroline s’exprimant plutôt sur la partie plus technique des partitions pour cette fois. Christian interviendra également pour donner des indications, notamment pour recaler le tempo en marquant le rythme au moyen des baguettes, comme un métronome, preuve que même s’il n’est pas sur scène il veille au grain. Il dira d’ailleurs en conclusion qu’il s’agit d’un travail « au scalpel » tant le souci du détail est important. Sur sa discrète suggestion aussi, on pourra entendre au retour d’un des entractes un chant bulgare interprété par Stella, Sylvie, Caroline et Laura, emprunté au répertoire des Voix de Gaia. Autre ambiance mais une opportunité de découvrir cette proposition musicale, portée par une partie des chanteuses de Magma. 


Ce qui était assez notable aussi c’était le climat global de joyeuse décontraction qui régnait sur la scène : plaisanteries qui fusent entre les uns et les autres, sourires, Christian qui fait montre de son humour à plumiers reprises. Ainsi quand il corrige Hervé sur un phrasé en lui conseillant de prononcer « « Hametaille » avec l’accent du sud », pour bien peser sur les syllabes, ce qui a pas mal amusé le public. Ou quand Isabelle, s’adressant à la salle, demande aux femmes présentes de lever la main, Stella saluant le fait que nous soyons un peu plus nombreuses à présent tout en rappelant que longtemps, le public de Magma (sans parler de son effectif sur scène) était essentiellement masculin -sujet également propice à quelques galéjades. 


Parallèlement à la répétition, dans la salle 2 du Triton était projeté en boucle Tristan et Iseult, le fameux film de Yvan Lagrange. Œuvre kitch par excellence, avec ses combats de chevalier légèrement laborieux, mais habillée d’une version brute de Wurdah Itah dont l’énergie contraste avec la lenteur des images. Christian raconte l’histoire du piano cassé, de l’enregistrement de ce morceau et de comment il s’est retrouvé en BO de ce film improbable (produit, c’est original, par le couturier Pierre Cardin ! ), l’anecdote des armures et les épées réelles : les comédiens, sans entraînement, avaient eu toutes les peines du monde à se mouvoir affublés de cet attirail, d’où le coté ralenti et involontairement comique du film. Un coté Monthy Python, comme le souligne Thierry Eliez, mais quelle musique ! Cette version sauvage de Wurdah Itah, est, il faut le dire, magnifique. 


Autours des 18h, la séance va vers sa conclusion et le groupe propose un filage de tout K.A pour finir en beauté. Après cela, Christian monte sur scène pour féliciter l’équipe et Stella interroge le public, l’invitant à poser des questions ou à livrer des commentaires ou des remarques par rapport à ce qui vient de se passer. C’est encore une fois un moment propice aux échange informels et détendus entre les musiciens et le public. Idéalement, on n’aurait pas refusé un bis avec Christian, une petite balade ou un Denhde, pour le plaisir de l’entendre…mais nous n’avons pas eu cette chance. A propos de chance, le plus vernis de cette fin d’après-midi musicale aura sans doute été ce jeune gamin, présent au premier rang et fièrement vêtu du T-shirt Magma, qui a bénéficié d’une leçon particulière dispensée par le maître en personne sur sa propre batterie. C’était très touchant là aussi de voir Christian prendre de son temps pour lui expliquer comment tenir les baguettes, obtenir tel ou tel effet, avec beaucoup de patience et de simplicité. 




Finalement, la répétition n’aura pas duré jusqu’aux 20h annoncés, mais nous aurons quand même pu partager 4 bonnes heures avec le groupe, dans cette forme particulière mais, d’une certaine façon, privilégiée. 
Deux autres opus vont suivre, avant Antibes et la tournée de 2025, dont nous attendons avec impatience l’annonce des dates et des lieux !
 

Texte et photos : Eurydice Anahé (sauf les cinq derniers clichés : Memorizatör).