mardi 30 juillet 2019

La scène française se porte bien : 2 - Aria Primitiva Sleep No More

Un premier EP, première carte de visite, avait permis en 2017 de prendre contact avec la musique du groupe impulsé par Thierry Zaboitzeff. Le titre de ce premier album fait évidemment écho au Art Zoyd des années 80 mais il serait vain de chercher en Aria Primitiva un clone. Disons qu'on se situe dans un prolongement de certaines esthétiques mais avec une instrumentation forcément différente sans parler du temps qui s'est écoulé...
Au travers de multiples expériences, hélas peu relayées en France, Thierry Zaboitzeff livre ici un disque extrèmement travaillé, une oeuvre mature aux dédales surprenants qui happent l'auditeur aventureux. On ne se pose que rarement en ces paysages sonores parfois tourmentés, sombres ou plus calmes pour quelques brefs instants... L'instrumentation est dense et fournie avec de belles ouvertures sonores où les deux musiciennes, Nadia Ratsimandresy et Cécile Thévenot, sont particulièrement à leur aise. On l'aura compris, voici un disque particulièrement puissant dont on peut espérer qu'il permette à Thierry Zaboitzeff de toucher un public plus vaste ce qui ne serait que justice, compte tenu de son passionnant parcours...

Pour se procurer le disque (Cd & LP) c'est ICI et LA
En version numérique


Et cerise sur le gateau, notre ami Thierry Moreau, auteur du très beau visuel du groupe, a réalisé un long entretien avec le musicien dont vous pouvez lire ici l'intégralité, merci à lui !

Peux tu nous parler de tes premiers contacts avec la musique, viens tu d’une famille de musiciens ?
Les premiers contacts, justement, dans la famille par mon grand-père maternel qui était entre-autre organiste à l’église de Fourmies (59). Tout gamin, j’adorais l’accompagner dans la tribune et me laisser prendre par ces sons d’orgue tourbillonnant, vibrants et magiques… Mais le véritable déclic se produisit à l’arrivée de la musique Rock, pas celle de gens comme Elvis Presley car j’étais trop jeune et de toute façon, je trouvais cela ringard, mais plûtot de tout ce qui a suivi un peu plus tard, les Stones, les Beatles, Kinks, Led-Zep, The Who… A cette époque, j’ai détesté l’école, l’autorité, la norme, alors les quelques cours de musique du jeudi, c’était encore l’école, l’autorité… J’ai zappé !
Mais le rock avait accroché mon oreille et très vite, j’ai voulu ressembler à ceux que j’adorais et je me suis essayé à la guitare tentant d’imiter ceux qui m’excitaient tellement… Avec quelques copains de classe ou de quartier, nous formions des groupes qui ne duraient jamais plus de dix jours.
Puis sont arrivés à mes oreilles Hendrix, Pink Floyd, Zappa… j’en passe et là, le choc fût terrible… Les esprits s’ouvraient à autre chose, en tous cas le mien… Je devais avoir 15 ans, ce fût le point de départ d’un long cheminement autodidacte durant lequel, je découvrais pas à pas ce qui était derrière ces Hendrix, Pink Floyd, Soft Machine, Zappa…  Donc Varèse, Debussy, Stravinsky, Bartok, Berio … Des musiques anciennes, baroques, romantiques, post romantiques, je me souviens d’un temps où j’écoutais Mahler en boucle parce que sa musique me touchait et que je voulais savoir comment et de quoi elle était faite.

Comment  es tu rentré dans Art Zoyd, quelle a été ta place au début puis après, les rapports avec les musiciens... 
En 1970, je rencontrais, Gérard Hourbette, je gratouillais des guitares, lui, sortait du conservatoire et je ne sais plus précisément pourquoi, mais ça a tout de suite accroché entre nous malgré mon inexpérience instrumentale d’alors. Nous nous sommes très vitre retrouvés pour monter un duo qui deviendrait ensuite un trio : « Rêve 1 «  là où nous vivions, à Maubeuge. La plupart du temps, nous improvisions sur des structures atmosphériques que nous décidions à l’avance. Gérard au violon électrifié, moi, à la guitare acoustique 12 cordes électrifiée également, le tout dans des effets de type chambre d’écho à bande, pédales de distortion, nous faisions, si je puis dire, feu de tout bois en utilisant tout élément pouvant servir de percussion en l’amplifiant très sommairement et triturant le tout dans ces chambres d’écho sans oublier les bandes magnétiques diffusées à l’envers et sur lesquelles nous intervenions ou pas ! (expérimental et improvisé !!!!  Furieux, poétique) quelques semaines plus tard, un bassiste (Guy Judas) nous rejoignait.
Un jour, Gérard alla s’acheter des cordes de violon à Valenciennes là où se situait l’unique magasin de musique digne de ce nom, au plus proche de Maubeuge. Lorsqu’il entra dans la boutique, le crâne rasé affublé d’un manteau de fourrure, un étui de violon sous le bras, toutes les têtes chevelues, moustachues et à barbe se tournèrent vers lui, je n’étais pas présent à ce moment là mais la conversation et l’échange se firent quasi instantanément entre Gérard et Rocco Fernandez et autres membres de Art Zoyd… Le même jour Gérard rentrait de valenciennes en compagnie d’Art Zoyd dans leur bus, nous fîmes le boeuf dans la cave des parents de Gérard: Art Zoyd III était né. Dès les premières répétitions autour des compositions de Rocco, notre bassiste décidait de nous quitter et là Rocco m’encouragea à prendre la basse, ce que je fis non sans difficultés mais après une une ou deux semaines, je trouvais idéalement ma place et très vite en tant que bassiste je commençais à participer à certains arrangements, cela m’excitait beaucoup de partir de rien…
Nous fîmes énormément de concert en région mais aussi un peu partout en France en particulier dans les MJC mais aussi dans des bals et discothèques… Entre 1971 et 1975, il n’y avait pas trop d’autres alternatives pour se produire sur scène.
En 1975, Rocco décidait de lâcher l’affaire, lassé, fatigué de toutes ces tournées non-rentables, il nous remît à (Gérard et moi même) les clefs de la maison Art Zoyd.
Nous souhaitions profiter de l’occasion pour tenter d’aborder la composition sous un angle différent.
Nous étions souvent très irrités de devoir se mouvoir musicalement sans cesse entre les pulsations régulières et systématiques de batteries et percussions, c’est de cette réflexion et envie qu’est né cet Art Zoyd sans batterie. Du coup selon notre esthétique de l’époque nous pouvions donner des rôles très différents à notre instrumentarium ( 2 violons, trompette et basse électrique) tantôt les uns étaient percussions, les autres harmoniques, nous changions ainsi les rôles au gré de nos envies d’arrangement de nos compositions.
En ce qui me concerne j’ai vraiment commencé à  composer  à Partir de l’album Musique pour l’Odyssée. La pièce s’intitulait Bruit, silence, Bruit, Repos, tout un programme !!! Je vivais à Douai  à ce moment là et il me fallait deux heures trente de transport pour rejoindre notre lieu de répétition qui se trouvait à Maubeuge et parfois encore sur Valenciennes et je profitais de ce long temps de transport pour préparer les arrangements que nous expérimenterions instruments en main durant la répétition. Etant complètement autodidacte, je devais durant mon voyage, trouver des astuces de mémorisation de notation, de fait j’avais tellement tout en tête que parfois je chantais les parties de trompette ou de violon et les musiciens se les notaient ensuite au propre…

Art Zoyd passait en première partie de Magma, le courant  Rock in Opposition est arrivé, tu nous en parles… 
1975-1976, nous tournions énormément dans le circuit des MJC initié alors par nos aînés (Gong-Magma et bien d’autres) Notre route s’est croisée avec celle de Michel Besset (déjà organisateur de concerts dans le sud-ouest de la France, notamment  sur Albi et Carmaux :  Association Transparence)  Il est devenu notre manager, le producteur de notre premier album : « Symphonie pour le jour où brûleront les cités » et nous a fait tourner beaucoup dans sa région et c’est lui encore qui négocia avec Magma et notre précédent tourneur (Jean René Pouilly) pour nous, les premières parties des concerts de Magma en France durant cette période à la suite de ce mémorable gig au palais des sports de Toulouse organisé par Michel Grèzes et son association Tartempion.
(concert devant plus de deux-mille spectateurs). Ces premières parties, nous amenèrent également pour une dizaine de jours au Théâtre de la Renaissance à Paris, le succès fût total, le public s’arrachait nos vinyles à l’entracte, jusqu’à quarante exemplaires par soir. C’était la folie !
Surtout si l’on re-pense à notre line up de l’époque formule commando sans batteur ni claviers.
Violon: Gérard Hourbette
Trompette; Jean-Pierre Soarez
Guitare, violon, violoncelle : Franck Cardon remplacé par Alain Eckert : Violon et Guitare
Thierry Zaboitzeff : basse électriques et vocaux
Cela fît notre son, notre identité, notre marque de fabrique.

Prométhée est ton premier album solo, on sent déjà une orientation, des voies à  exposer… 
En fait Prométhée était à la base une musique destinée à une performance théâtrale par Le Collectif Théâtral du Hainaut de Valenciennes qui me commanda cette composition par son directeur Philippe Asselin. Ce fût la toute première fois depuis mes débuts dans la composition que je me suis senti complètement libre, pas tenu de composer pour tel ou tel ensemble d’Art Zoyd ou autre. J’avais décidé pour ce projet d’utiliser tous les instruments dont je pouvais jouer à l’époque: un bon vieux piano droit pas très bien accordé, le cello, la basse mais aussi la guitare électrique, un casiotone (sorte de synthé-jouet avec des sonorités typiques) et multiples accessoires comme des métronomes, petites percussions (castagnettes, tambour, triangle, boite à rythmes trafiquée) et les multiples pédales de distortion d’alors ainsi que les possibilités offertes par le montage sur bande magnétique…
Ici pas de concertant, pas de solis, rien à prouver sur une scène mais une volonté d’ambiant, de liberté, de manipuler mes instruments et mes textures entièrement « faites maison » Un processus de composition et d’arrangement complètement dépendant de ma volonté et de mes moyens techniques de l’époque.
La source littéraire, la base imposée de mon inspiration : « Prométhée enchaîné » d’Eschyle accompagné d’indications scénographiques.
Très vite, j’ai dû oublier toute cette histoire très compliquée afin de ne pas m’y perdre et je ne gardais que ceci en tête : 
« Éther divin, vents à l'aile rapide, eaux des fleuves, sourire innombrable des vagues marines. Terre, mère des êtres, et toi, Soleil... je vous invoque ici » Et puis Zeus, Les Océanides, Io, Hephaitos…
J’étais marqué par cette image de Prométhée enchaîné et condamné pour avoir révélé les bienfaits du feu aux hommes…
En marge de cette musique de scène, je décidais d’en réaliser un album en remaniant, re-découpant, re-mixant, superposant d’un Revox à l’autre créant ainsi des décalages aléatoires ou volontaires…Mais surtout, au fil de mon travail j’ai toujours veillé à ne pas perdre ce côté très instable, errant mais hiératique que j’avais souhaité.

Quels ont été tes bassistes préférés?
Janick Top, Francis Moze, Tony Levin, Hugh Hopper pour ne citer que ceux qui m’ont directement impressionné.

Tu  joues  de la basse avec un médiator,  pourquoi ce choix ? 
Cela vient du fait qu’auparavant, je jouais de la guitare mais surtout,  je maitrise mieux la précision pour les phrasés très rapides et complexes dans l’exécution rythmique, avec le temps, je me suis organisé de cette façon toute une palette de nuances et de timbres… Je recherche ce côté piqué…Parfois j’utilise les doigts pour obtenir des sons très sourds ou pour balancer quelques slaps, avec modération… Je dois ajouter que je suis avant tout compositeur et que je ne me prends pas pour un bassiste chevronné et exemplaire. j’utilise tout les instruments dont je peux jouer comme passeurs de ma musique.

Le violoncelle ?  Tu y es  venu comment ? Le violoncelle électrique ? 
Lors de la conception de l’album « Musique pour l’odyssée », je trouvais que uniquement ma basse électrique, ça n’allait pas le faire, j’étais frustré, j’avais envie de corde frottée, J’achetais donc un violoncelle et toujours en autodidacte, je me mettais au travail avec l’aide précieuse de Gérard et de Franck qui me communiquèrent quelques rudiments et bon conseils… Le reste fût souffrance, persévérance ! Quant à l’électrification du violoncelle, elle fût toute naturelle car nous électrifions déjà les deux violons et la trompette.

L’apport de la lutherie informatique et électronique donnent des  ouvertures nouvelles, des couleurs  nouvelles, comment sont préparées ces interventions?  Les Ondes Martenot ? 
Dans les années 85-86 Chez Art Zoyd, j’utilisais déjà cette lutherie informatique et électronique. Les manipulations d’alors étaient très basiques et robotiques, c’était très frustrant sauf si vous vouliez ressembler à Kraftwerk, ce qui n’est pas une critique mais cela n’était pas ce que nous recherchions…
Mais revenons en 2019, Les technologies ont bien changé et vous pouvez aujourd’hui avoir dans votre ordinateur portable au sein d’un sampler virtuel tous les sons et les patches que vous avez préparé pour le concert pour ensuite les manipuler et les jouer en direct sur scène à partir de claviers, de pads, de capteurs via le MIDI.
Au sein de ses mêmes samplers, vous avez également accès à la synthèse si vous souhaitez y travailler et créer vos propres sons, autant dire un outil puissant, expressif, formidable.
Ceci apporte dans ma composition toutes les palettes sonores que je souhaite associer à une orchestration…
J’adore le fait de pouvoir par exemple sampler le souffle de ma voix et un accord de violoncelle ou de basse et remixer l’ensemble jusqu`à en faire un son nouveau et puis le triturer encore et encore à l’envi et lorsque cela me procure l’émotion recherchée, j’introduis ce ou ces sons dans ma composition…
Concernant l’onde Martenot, je n’avais jamais travaillé avec cet instrument, je ne l’avais même jamais côtoyé , simplement entendu dans des oeuvres de Messian, Milhaud, Henry pour ne citer que les plus connus et puis aussi dans certaines musiques de film…
C’est la rencontre avec Nadia Ratsimandresy pour ce projet de concert et d’album Aria Primitiva qui a été le déclencheur. Dès cet instant, j’ai commencé à me documenter, à rechercher. C’était un nouveau challenge ! Pour Aria Primitiva, je ne voulais pas écrire des pièces spécifiquement pour l’onde martenot mais l’intégrer à l’architecture sonore que j’avais en tête, entre Rock Metal-Jazz-musique du XXème-électronique-ambient-techno mais « Zaboitzeffienne » !!!
Pour les premières étapes de composition et d’orchestration, j’ai utilisé une Onde Martenot Virtuelle (samplée), histoire de me familiariser seul avec les timbres et les principales possibilités car les membres d’Aria Primitiva sont géographiquement très éloignés et je voulais être informé sur les sons et variations de l’onde avant nos sessions en trio.
Puis nous nous sommes enfin retrouvés instruments en main pour monter ce répertoire «  Sleep No More » et là j’ai vraiment appris beaucoup en découvrant Nadia et son instrument, cela m’a permis de corriger certaines erreurs dans mon écriture mais également d’intégrer l’onde dans des atmosphères musicales inattendues ou à priori incompatibles. Chaque jour, avant de commencer à déchiffrer ou répéter, nous improvisions une vingtaine de minutes et là j’ai vraiment découvert l’onde et ses immenses possibilités.

Dans toute ta discographie, il y a des influences sous jacentes, on peut parler de Xenakis, de Nino Rota, de Jon Hassell, de Gorecki. Tes influences sont en filigranes, et on sent bien ta rigueur d’écriture, ces gens t’ont influencé ? 
Chaque compositeur à souvent du mal à dire qu’il a été influencé par tel ou tel…
Me concernant, il y a des Artistes, des Compositeurs, des Oeuvres que j’ai admiré et qui ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui: Stravinsky-Bartok-Debussy-Ravel-Eno-Zappa-Hassel-Mahler-Miles Davis-King Crimson-Berio-Ligeti-Orff-Ives-Magma Epok I… Et beaucoup d’autres…
Ce mix vous paraîtra sûrement curieux mais c’est ainsi ! Effectivement, un peu Gorecky, Nino Rota mais pas Xenakis qui ne m’a jamais vraiment attiré.

Tu chantes parfois en latin "Missa Furiosa",  je me  souviens dans une vieille interview que tu parlais de ton grand père et des visites dans  les églises, tu te « sers » du latin un peu comme un gimmick, un clin d’oeil..??? 
Le Chant en Latin, ce fût seulement dans la Missa Furiosa, là encore, un challenge: amener ma musique dans un cadre techno-pop, mêlant instruments acoustiques y compris une batterie, grooves élelectro, chanteurs lyriques  et pour y chanter une Messe imaginaire avec même une citation bluesy du requiem de Mozart !!!
Ma préoccupation dans ce projet était d’être Bombastique-Churchy, à la limite de la caricature, mêlant grandes orgues, chant lyrique, puissance sonore pour une sorte de cérémonial, ce qui m’a toujours attiré car lorsque j’étais enfant, j’accompagnais souvent mon grand-père à la tribune car il était organiste et j’adorais être proche de ces sons parfois grandioses et me laisser empoter par ce visuel-rituel qu’était la grand-Messe avec l’encens, le Garde Suisse - Les debout-Assis, la Communion, etc.
Je trouvais que le latin allait fort bien avec ma musique et comme non-croyant, Je dois ajouter que si tout ceci était parfois caricatural, je n’ai jamais souhaité être critique ou blasphématoire, cela n’était pas le propos ici ! je me sentais plutôt dans une sorte de « rave dominicale… » (hi-hi)
Pour l’anecdote, un moine qui assistait au concert a même acheté l’album Missa Furiosa.

En faisant le point sur ta discographie, on sent que tu explores différentes facettes de ton univers, Aria Primitiva  est un peu la quintessence de ton travail…? 
Oui, dans chaque création nouvelle cela doit transparaître un peu, et cette fois, un peu plus. J’ai personnellement beaucoup de mal à regarder en arrière et donc Aria Primitiva est mon dernier projet en date et dans mon esprit, c’est le meilleur, là où j’ai mis tout mon savoir-faire, mon âme. Ce n’est que mon avis bien entendu !

Pourquoi le nom de Aria Primitiva ?
Bien que finalement il n’y ait pas beaucoup de parties chantées dans ce projet, je recherchais un nom qui fasse allusion au chant de manière globale, chant primitif, chant tribal quelque chose d’antérieur à une musique savante, élaborée mais y faisant tout de même référence…  Aria Primitiva est finalement venu naturellement (Aria pour le côté classique-savant et donc Primitiva pour le côté primitif, tribal… Ce nom m’est venu très vite à l’esprit, nous l’avons adopté aussi vite !

Parle nous de  Cécile Thévenot, Nadia Ratsimandresy, participent elles aux compositions ? La symbiose du trio est évidente... 
Nadia et Cécile n’ont pas participé à la composition, mais je dois vous raconter un peu plus sur notre rencontre et la genèse de ce projet. Nadia , Cécile et moi même faisions partie du line up du concert anniversaire d’Art Zoyd au Phénix de Valenciennes en décembre 2017. Lors des répétitions est née entre-nous une sorte de complicité, d’attirance musicale, le soir, après cet ultime concert, Nadia et Cécile vinrent me demander si l’on ne pourrait pas envisager de travailler ensemble, je dois avouer que sur le coup, j’ai eu quelques réticences par rapport à un trio, pourquoi ?, Comment ? Quelle musique ? Dans l’euphorie du moment, j’ai dit : « Banco ! » je voulais relever ce nouveau défi. Quelques semaines se sont ensuite écoulées, semaines durant lesquelles, j’ai un peu fait le tour de mes envies que j’ai peu à peu communiqué à Nadia et Cécile qui étaient à l’écoute de ce que je proposais. Nous avions évoqué également la possibilité de constituer ce trio sur la base d’improvisations ce qui m’a fait un moment hésiter car l’improvisation n’est pas spécialement mon truc, en tous cas et je rêvais d’une écriture compacte serrée et j’ai donc commencé à écrire puis très vite je suis arrivé à une heure dix de compositions, que j’ai proposé pour le trio en prévoyant des plages d’improvisations libres au sein de morceaux très écrits.
Ce fût donc notre base de travail après approbation de Nadia et Cécile. Puis le temps passant j’ai eu l’impression que sans décision radicale au niveau notamment d’un calendrier nous serions toujours dans un processus d’attente, de réflexion, de recherche chacun dans notre coin et personnellement, je n’en avais ni le temps ni les moyens, nous sommes tous trois séparés par de grandes distances et rien n’est facile pour se retrouver et travailler.  
Alors, j’ai pris sur moi la décision de terminer rapidement l’écriture.  Il m’a fallu aussi vite trouver les lieux de répétitions pour notre première session de travail ainsi qu’une résidence, les premiers concerts puis un cadre technique et financier pour la réalisation de l’album.  Ceci explique que Aria Primitiva est devenu de fait mon projet. Je dois dire que cette première session de répétitions et de rencontre véritable fût exemplaire. Chaque matin avant de nous lancer dans les orchestrations et mises en place, nous improvisions une vingtaine de minutes pour notre plus grand bonheur , histoire de nous rencontrer et nous découvrir. Et je dois encore remercier Nadia et Cécile pour leur grande complicité, aide, collaboration et professionnalisme. Et à ce titre pour moi, c’est aussi leur projet  même si elles n’ont pas signé les compositions. J’avais auparavant pré-programmé les samplers et les empilages de sons que finalement nous nous avons re-répartis ensemble pour des raisons de jeu et de maniabilité des machines en condition de spectacle, laissant Nadia plus disponible pour les Ondes Martenot qui est l’une des originalités de ce projet.
Ce propos musical en trio et sa conception technique ne tiennent qu’à un fil, celui de la complicité-concentration et cela se sent immédiatement lorsque l’on nous regarde en concert. Je suis personnellement très touché de m’en rendre compte au fil des concerts.

Des concerts ? Les projets ?
Pause actuellement pour les concerts car nous avons tous trois d’autres engagements prévus de longue date à honorer mais des possibilités s’annoncent déjà, je ne peux en parler tant que rien n’est fixé définitivement.
Je travaille en ce moment à la composition pour un projet chorégraphique de Editta Braun Company : « Layaz » pièce pour une danseuse Hip-Hop
J’y utilise un peu les codes musicaux de ce style pour en réaliser une pièce toute personnelle, là aussi, un nouveau défi à relever !
La création aura lieu en octobre 2019.
Puis je ferai une longue pause car j’arrive à un moment de ma vie où beaucoup de choses deviennent compliquées et cela sera l’occasion de me ressourcer…

L’ Album Sleep No More bien accueilli ? 
Au regard du courrier, des mails enthousiastes que nous lisons, des ventes sur mon site et d’autres retours (Label-Distributeur) je peux dire que cet album reçoit un excellent accueil. Attendons de voir comment la presse dans son ensemble réagira… Certains articles déjà sortis ici et là sont très positifs sur notre création.

Le courant R.I.O reste assez confidentiel du grand  public,  que penses tu de ce mouvement ?
Le RIO est un mouvement créé vers la fin des années 70 par Chris Cutler et son groupe Henry Cow qui avait enregistré ses premiers albums chez Virgin (GB) Le but du RIO était de de s’opposer en général à l’industrie musicale Rock en particulier, prouvant ainsi qu’il était possible de produire des concerts et des albums en toute indépendance artistique, politique… Ce que chaque groupe de ce mouvement tentait déjà de faire dans son coin, Henry Cow-Art Zoyd-Univers Zéro-Etron Fou Leloublan-Samla Mammas Manna-Stormy Six -Art Bears-Aksak Maboul ) Ensemble, en réseau nous serions plus fort ! C’est ainsi que nous avons participé (Art-Zoyd) à quelques festivals RIO (Milan-Stockholm…)ou concerts isolés labellisés RIO un peu partout en Europe,et produit et distribué en 1982 notre double album Phase IV via Recommended Record devenu le Label du RIO. Comme bassiste, j’ai joué  avec Univers Zero (époque 1313- Hérésie) dans le premier festival RIO qui se tenait au New London Theater en 1978… J’étais bassiste intérimaire dans UZ,  Guy Segers devait me remplacer par la suite et nous nous partagions le répertoire. Nous avions également joué auparavant à Nancy dans cette formule à deux basses alternées.
Puis ce mouvement s’est quelque peu endormi, le public a de moins en moins suivi et les artistes ont repris chacun leur voie. Le RIO est resté dans les mémoires comme une étiquette large englobant rock progressif, avant-garde, fusion, psychédélique ou expérimental hors du contrôle de l’industrie musicale. 
Jusque à une renaissance du mouvement en 2007 sous l’impulsion de Michel Besset et de Roger Trigaux qui se donnèrent les moyens techniques et financiers de remettre ce festival sur pied et d’en faire en France, un évènement musical annuel depuis. Je ne crois pas que ce mouvement soit confidentiel au regard du style des musiciens qui en font partie.
Les concerts qui y sont présentés sont pour la plupart sans concession, originaux. Les temps sont devenus encore plus rudes (artistiquement) pour exister, mais j’ai le sentiment que peu à peu l’intérêt du public revient vers le RIO sur une base plus large, internet aidant !
Ce que je trouve un peu agaçant et dommage, que certains groupes sont un peu dans l’imitation de Magma-Univers Zero-Art Zoyd-Henry Cow…) On aimerait découvrir d’autres sons, d’autres tendances, d’autres originalités. Les temps ont changés, attention de ne pas tourner en rond ! 

Quels sont les musiciens avec qui tu aurais aimé travaillé ?
J’ai passé vingt-cinq années dans Art Zoyd avec des compagnons formidables (Gérard, Jean Pierre, Patricia, André, Daniel…) Nous nous sommes presque tout permis artistiquement jusqu’à une grande lassitude et des envies différentes de part et d’autre, précisément entre Gérard et moi qui étions de 71 à 97 les deux têtes du groupe Art Zoyd…
Gérard souhaitait s’orienter vers la musique contemporaine et ses réseaux de compositeurs en résidence… et utiliser plus de technologie, je souhaitais vivement le contraire, le moment était venu de nous séparer…
J’ai donc  ensuite fait un long chemin solitaire, comme compositeur, dans mes projets et ceux d’autres artistes, chorégraphes, metteurs en scène, réalisateurs… C’était aussi une sorte de thérapie: Ne plus être attaché artistiquement au langage d’un ensemble de musique devenu comme un sorte de parti politique dont il ne fallait pas sortir des lignes y compris des miennes et j’ai donc en quittant Art Zoyd, avec bonheur, joui de cette nouvelle liberté.
Alors aujourd’hui après tous ces chemins de traverses, si je me prenais à rêver d’une nouvelle expérience, c’est avec Daniel Denis (UZ) que j’aimerais jouer mais sûrement pas dans un contexte à la Univers Zero ou Art Zoyd car pour moi les temps ont bien changé. Non dans une autre sensibilité, une approche différente à chercher, nourrir, inventer…
Mais il me reste tant à faire sinon !

Comment procèdes-tu dans la création, tu pars de quoi ? Une rythmique, une mélodie, un son, par quel instrument commences tu ?
Je dirais que c’est un grand bazar ! En fait, souvent, au départ, mes compositions sont de grandes improvisations dans tous les sens du terme, comme je ne suis pas lecteur, je n’écris pas sur papier mais je joue et m’enregistre avec tout et n’importe quoi, je provoque l’inspiration puis je laisse venir, souvent je rejette puis reprends, j’ai besoin de me mettre dans un état d’écoute profond et là tout devient permis, je peux par exemple utiliser ma voix ou ma basse pour ébaucher un rythme, une mélodie, un accord puis directement y introduire le violoncelle et parfois cette petite ébauche ne sera pas utilisée mais aura ouvert un chemin vers d’autres sensations plus magiques que je développerais ultérieurement. Je ne suis pas du genre à théoriser ou à écrire un essai de 500 pages avant de sortir un son, je travaille instrument en main d’ans l’organique, la spontanéité avec brutalité parfois mais pour mieux sortir douceur et tendresse. Il arrivé que la méthode de travail soit plus douce en cherchant sur un piano, harmonie et rythme , imaginant le décor ou l’atmosphère que je planterai autour en studio. J’essaye d’éviter les règles et les systèmes mais comme tout être humain parfois je n’y parviens pas mais le fait d’avoir tenté d’éviter certaines habitudes m’amène souvent vers quelque chose d’inattendu au final.En général, je travaille dans mon studio, là, tout est prêt à être enregistré et si besoin, re-traité sur le champs ! micros et interfaces prêt à l’emploi et ensuite, j’ai besoin d’aller vite pour les choses techniques de manière à rester le plus léger et fluide lorsque l’inspiration vient. Comme je le disais au début, il s’agit bien d’une grande improvisation dont je ne conserverais que l’essence même. Bien sûr, lorsque l’on me commande une musique pour la Danse, le Théâtre, le Film, j’ai des contraintes précises (atmosphérique-utilisation d’instrument particulier-ruptures…) mais ma méthode reste identique. Je m’adapte.

Que penses tu des logiciels prêt  à l'emploi, on en voit dans les domaines de la world, l'ambient, l'électronique... Le tout "prêt à l'emploi"  ( textures, séquences, voix...) ne tue t'il pas la recherche, l’inspiration ?  
Je pense que si l’on veut rester soi-même, il vaut mieux ne pas trop utiliser ces choses prêtes à l’emploi, certains logiciels sons sont intéressants et j’en utilise parfois mais hors du contexte proposé et mêlés à mes propres sons ou textures. Il faut savoir garder ses distances mais ne pas se fermer.
Je fais partie de ces gens qui utilisent la technologie et qui ne veulent pas la mettre en avant, devant ! Je m’y intéresse et je développe autour… Elle doit être au service, de nos idées, de nos envies, des émotions que nous voulons communiquer. Je trouve que certains compositeurs et artistes, actuellement se cachent derrière leur équipement, leurs logiciels et leur théorie et l’on a parfois du mal à sentir quelque chose derrière et c’est toujours très froid et généralement cela ne va nulle part …

Crédits photos : Michel Laloux, E.Valette, Lutz Diehl, Laurent Maginelle.

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